Informations cliniques
Une agression sexuelle provoque une atteinte psychologique et corporelle, et tend (comme tout événement traumatique) à modifier l’équilibre général de la personne qui le subit. Les conséquences à long terme sont multiples : stress, anxiété, dépression, troubles somatiques, sentiment d’irréalité, difficulté à réguler les émotions, mauvaise estime de soi, difficultés relationnelles, etc.
Il est démontré que plus l’évènement traumatique survient tôt dans la vie, plus ses conséquences sont importantes. En effet, la capacité d’intégrer des événements de vie complexes et/ou traumatiques peut être facilitée avec la maturité psychologique ainsi que la maturité de certaines zones cérébrales qui surviennent relativement tard.
De multiples exemples montrent également qu’il est possible à tout moment de la vie de (re)construire un sentiment d’intégrité personnelle et de satisfaction, même si cela peut représenter un important travail et prendre du temps. Depuis une vingtaine d’années, de nombreux cliniciens et chercheurs développent des stratégies thérapeutiques efficaces pour le traitement des séquelles traumatiques. Associées à des thérapies classiques, ces diverses stratégies peuvent donner l’occasion d’atteindre un meilleur épanouissement personnel.
Le traumatisme
La notion de traumatisme se réfère aux réactions de l’individu ou de son organisme, face à un événement vécu comme une atteinte extrême de son intégrité physique et/ou psychique. L’intensité de cette menace empêche de réaliser un comportement d’autoprotection réellement efficace. En effet, cette menace extrême produit une réaction automatique du corps et du psychisme : le figement. Ce figement est un état d’immobilité et de dissociation qui correspond en réalité à un état d’alerte maximal. L’organisme est suractivé dans sa totalité. Toute cette énergie emmagasinée dans l’immobilité donne lieu à un sentiment de grande vulnérabilité et d’agitation.
Après coup, s’ajoutent souvent un sentiment de honte, de culpabilité et une détresse diffuse d’avoir réagi ainsi. Il faut savoir que les réactions de figement s’activent dans l’organisme de manière automatique et qu’elles existent depuis toujours chez l’humain et l’animal. Elles visent la préservation de soi et sont normales. Toutefois, lorsqu’elles perdurent, elles sont coûteuses en termes de stress, de sentiment d’irréalité, de vulnérabilité, de fatigue et d’estime de soi négative. Afin de renégocier le traumatisme, il est nécessaire de rétablir les comportements d’autoprotection inhibés sous l’emprise traumatique. Alors seulement peuvent se réinstaller un sentiment de compétence et un état de tranquillité.
L’opportunité de cette renégociation traumatique est parfois offerte par des situations naturelles de la vie, mais également en thérapie spécialisée. Lorsque l’on sent que malgré nos efforts on ne parvient pas à s’en sortir, que l’on reste agité, désorienté et parfois désespéré, il faut chercher de l’aide. Il est important de chercher l’aide auprès des proches et/ou des professionnels et de ne pas rester seul. Le premier signe de rétablissement de soi est déjà l’orientation vers des solutions ou des aides adéquates.
L’impact de l’âge
L’enfant n’a pas les compétences nécessaires pour résister à la sollicitation de l’adulte ou d’un plus grand que lui, surtout lorsqu’il s’agit d’un proche. Par ailleurs, dans les situations d’agressions sexuelles, l’enfant est soumis à une stimulation inappropriée pour son âge et à son niveau de développement général. Cette inadéquation alourdit le poids des conséquences de l’agression sexuelle qui intervient chez l’enfant au moment où se développent son identité, le sentiment de sa valeur personnelle, sa compréhension du monde et des relations ainsi que les capacités d’autorégulation de son organisme.
Les expériences précoces sont les expériences de référence à partir desquelles des schémas mentaux et émotionnels sur soi, les autres et le monde se construisent. Ces schémas sont inconscients et conditionnent notre manière de voir le monde. Tous nos comportements en découlent. Dans le cas de maltraitances précoces et répétées, ces schémas donnent lieu à des croyances de base dysfonctionnelles, par exemple une image de soi négative d’incompétence. Selon la logique du cercle vicieux, ces croyances ont de fortes chances de persister dans le temps et de se renforcer. Des nouvelles expériences correctrices et répétées seront nécessaires pour modifier ces schémas. Ces différents phénomènes sont d’autant plus marqués lorsque la maltraitance est précoce et répétée et qu’elle est produite par une personne supposée être aimante et protectrice comme un parent.
La modification du fonctionnement somatique
La grave maltraitance que représentent les agressions sexuelles sur mineurs modifie les équilibres biologiques et physiologiques favorables au bon développement d’un individu. L’atteinte répétée de l’intégrité de l’enfant, son impuissance à se défendre et le lourd secret auquel il est généralement contraint par son abuseur, entraînent un état de stress intense qui modifie l’équilibre du système biologique général.
Le corps est mis en état d’alerte permanent et réagit notamment par la production de cortisol (hormone de stress) qui intervient négativement sur différentes fonctions cérébrales: les capacités de mémoire peuvent diminuer significativement, ainsi que les capacités d’apprentissage, de planification, de contrôle des émotions et du comportement. Les zones cérébrales servant au contrôle de soi sont matures très tard (vers 25 ans) et il incombe normalement à l’environnement humain de compenser cette lacune en aidant l’enfant à réguler ses émotions et son comportement. Évidemment, dans le cas d’agressions sexuelles précoces, cette fonction externe de régulation fait gravement défaut.
La souffrance psychologique
Dans le cas d’agressions sexuelles sur mineurs, la souffrance subjective de l’enfant est grande. Celui-ci est exposé à des émotions intenses comme la honte, la culpabilité, la peur, le désespoir, la rage. Ceci est d’autant plus vrai que les événements sont précoces, répétés et commis par une personne sensée être protectrice. Généralement, l’enfant est soumis à des contrats relationnels compliqués et paradoxaux impliquant maltraitance, intimité, secret et perversion des rôles (dans 90% des cas l’agresseur est connu de l’enfant et dans 80% des cas il est un membre de la famille). Associés à un stress somatique intense, tous ces éléments peuvent produire une importante confusion mentale chez l’enfant.
Bien que la responsabilité des actes incombe uniquement à l’agresseur, les différentes émotions intenses que vit l’enfant nourrissent une image négative de lui-même. Cette image peut persister à l’âge adulte et s’accompagner de difficultés comportementales et relationnelles, qui peuvent nourrir un sentiment de difficulté permanent et d’incapacité à faire face. Des expériences correctrices peuvent modifier ces états et permettre de nouveaux apprentissages.
Les mécanismes de défense
Dans des situations où un danger est perçu, des mécanismes de défense se mettent automatiquement en place. Ils visent à protéger émotionnellement et physiquement un individu. Dans le cas d’événements particulièrement menaçants comme lors d’agressions sexuelles, les mécanismes de défense sont également forts : la dissociation, le figement, l’effondrement, l’oubli partiel ou total des faits, le déni. Des mécanismes d’accommodation ou d’adaptation font également surface. L’ensemble de ces mécanismes visent à préserver la vie ou des parties de soi. Ainsi, l’expérience traumatisante est partiellement ignorée.
A ces mécanismes inconscients s’ajoute la contrainte au secret qui laisse l’enfant dans une plus grande nécessité encore à se couper de son expérience et faire comme si de rien n’était face aux autres. Quelle que soit l’importance de la défense, le stress sous-jacent à ces mécanismes reste actif dans sa totalité et laisse l’enfant dans un état global d’agitation. Il n’est pas rare de voir un enfant fonctionner parfaitement dans un domaine, par exemple l’école, et vivre des accès de colère violents et incompréhensibles dans d’autres situations.
Les expériences correctrices
Des expériences de vie positives ultérieures peuvent modifier profondément les conséquences des expériences douloureuses et traumatiques, voire même modifier leur empreinte. Ces modifications sont le fruit d’expériences nouvelles dans la réalité extérieure et dans l’action. L’issue positive de ces actions (liées à des performances ou à la création de liens affectifs positifs) peut remettre en question des croyances fondamentales négatives sur soi, sur les autres et sur le monde. Il peut s’agir typiquement de réussir quelque chose que l’on s’est donné de faire, de nouer des liens avec quelqu’un de confiance et d’aimant, de s’engager dans un travail thérapeutique.
Ces expériences positives correctrices vont se heurter à des croyances et des expériences douloureuses qui vont résister initialement au changement. Il faudra une certaine persévérance et un intérêt pour comprendre son propre comportement et aller au-delà de la tendance à répéter les mêmes comportements douloureux. Lorsque les croyances dysfonctionnelles et les réactions traumatiques résistent au changement, il est important que la personne qui en souffre reconnaisse cette impuissance, en mesure l’impact sur son état général et demande de l’aide pour dépasser ses symptômes. Il est important d’oser désirer quelque chose de bon pour soi et de s’orienter vers la recherche de moyens adéquats et efficaces.
Justice et processus de réparation
S’il est juste et fondamental que soient poursuivis les auteurs de crimes, l’issue des procès peut être néanmoins décevante pour la victime. Les agressions sexuelles sur mineurs font partie des crimes poursuivis d’office par la justice. La reconnaissance des faits par la justice et par les proches peut jouer un rôle important dans le processus de guérison. Elle rétablit l’ordre des choses, réintègre la victime dans la collectivité et ramène celle-ci à sa propre normalité.
Il faut connaître toutefois deux principes de base dans l’application de la justice qui compliquent souvent l’avènement de ces faits: la présomption d’innocence de l’accusé (le doute profite à l’accusé) et la qualité irréfutable des preuves à apporter.
Ces principes déjouent parfois l’évidence des faits vécus. Ainsi des victimes peuvent être déçues par l’issue d’un procès. Il est fondamental d’avoir conscience que l’application de la loi n’est que partiellement réparatrice, elle peut même dans certains cas être un facteur d’aggravation puisque les preuves sont souvent difficiles à apporter.
Le travail de réhabilitation de soi doit se faire en marge du procès. Un procès peut durer des années. Ces années doivent être utilisées à se soigner et à se projeter dans un avenir meilleur.